Rue Principale, 1943Géographie et territoire
Eastman (fondé en 1888) est regroupé depuis le 30 mai 2001 avec Stukely (fondé en 1796). La municipalité située en bordure ouest du mont Orford couvre un territoire de 74 km carrés, lequel compte plusieurs lacs (d’Argent, Orford, Parker, Stukely) et où la rivière Missisquoi Nord prend sa source.
A quelque 100 km à l’est de Montréal(sortie 106 de l’autoroute 10, dite des Cantons de l’Est), et à quelque 50 km de Sherbrooke, Eastman est situé à la rencontre de cette artère est-ouest et de l’axe nord-sud formé par la vallée de la Missisquoi vers la frontière américaine.
Des origines au nom actuel de la municipalité d’Eastman
Le village fut d’abord connu sous le vocable Dingmans’ Flats dans les années 1840, car six familles de Dingman y vivaient. Ceux-ci figuraient parmi les tout premiers Loyalistes établis sur le territoire; leurs ancêtres étaient des Hollandais de la vallée de l’Hudson (Nieuw Nederland). L’agglomération d’origine s’est ainsi développée à partir de l’extrémité sud-ouest du lac d’Argent, dont elle était séparée par une vaste prairie humide (le remblai actuel du chemin de fer n’y était pas), d’où le nom « Flats ».
D’autres Loyalistes s’étaient installés dans les terres environnantes, le territoire étant alors relié à Montréal et Boston par des diligences tirées par des attelages de chevaux. Le trajet empruntait l’actuel chemin des Diligences; là où le chemin du lac d’Argent rejoint le chemin des Diligences se trouvait un relais pour les voyageurs, où se faisait aussi la rotation des équipages et des bêtes. Le relais, appartenant à un dénommé Nathaniel Parker (1785-1854), se nommait « Silver Valley Hotel » et son style d’origine est bien conservé. C’est aujourd’hui la ferme des Marc-Aurèle, dont l’ancêtre acheta l’endroit des Parker (lesquels ont donné leur nom au lac Parker, situé tout près). Le cimetière Silver Valley, non loin de là, contient les tombes des Parker, Dingman, et plusieurs autres pionniers de la première époque.
Avec l’avènement du chemin public reliant Montréal à Sherbrooke, le village s’étendit tranquillement vers l’est, dans ce qui est devenu le noyau villageois actuel. L’actuelle rue des Pins constituait pour sa part le point de départ du chemin de Mansonville. Un hameau nommé Bolton Forest se développa parallèlement à l’est du village, aux environs de l’actuelle boulangerie Dora; le tout premier bureau de poste y fut d’ailleurs ouvert en 1865.
Les relevés géologiques gouvernementaux des années 1840 avaient en effet identifié plusieurs gisements dans la vallée de la Missisquoi. Mais il fallut attendre le déclenchement de la guerre de Sécession américaine, en 1861, pour que le cours des métaux connaisse une croissance fulgurante, rendant par le fait même l’exploitation minière profitable.
C’est ainsi que plusieurs mines de cuivre (Ives, Bolton, et Huntington) situées entre Eastman et Bolton Centre débutèrent leur exploitation en 1865. La forte demande en main-d’œuvre dépassait de beaucoup ce que pouvait fournir le bassin de population local; aussi, les mines attirèrent de nombreux arrivants, dont des Canadiens-français mais aussi des gens venant d’aussi loin que le pays de Galles ou encore Cornwall en Angleterre. La population d’Eastman augmenta ainsi rapidement, et le premier magasin général ouvrit en 1867 (celui de Richard A. Banfill). L’exploitation minière fut également à l’origine de l’arrivée des chemins de fer dans la région.
Travailleurs de la mine IvesSuite à la fin de la guerre de Sécession, le cours des métaux redescendit tranquillement et les diverses mines cessèrent leurs activités entre 1876 et 1883, n’étant plus économiquement viables. On entend parfois dire que le minerai de cuivre extrait de ces mines aurait servi à la fabrication d’armes pendant la Guerre civile américaine. En réalité, l’exploitation des mines débuta l’année où la guerre de Sécession avait pris fin, et le premier lien ferroviaire avec les Etats-Unis ne s’est réalisé que bien plus tard. Le minerai des mines d’Eastman était plutôt acheminé par train à Waterloo, puis au port de Montréal, pour aboutir en Grande-Bretagne.
L’industrie du bois et les chemins de fer
Au déclin de l’activité minière succéda l’essor de l’industrie du bois, qui contribua à faire d’Eastman une plaque tournante des chemins de fer à la fin du 19e siècle.
En effet, il était devenu possible d’acheminer vers la ville les produits des scieries saisonnières installées dans tous les villages et hameaux des alentours. A cela vint s’ajouter la construction d’une nouvelle voie ferrée permettant l’accès aux forêts d’un vaste territoire au nord d’Eastman. Si bien qu’entre 1875 et 1890, Eastman devint un village de 500 habitants comptant 3 églises et de nombreux commerces, dont l’industrie du bois était désormais le principal moteur économique.
En 1882, Loran Durham Phelps et son cousin Cortez Croydon Eldridge érigèrent à l’est de la rivière Missisquoi (un peu en amont du barrage aujourd’hui) une scierie attenante à une fabrique de bardeaux de cèdre et d’épingles à linge. Leur entreprise, la Eldridge & Phelps Co Ltd, fournit le bois nécessaire à la construction de plusieurs ouvrages ferroviaires, dont le long pont à tréteaux (trestle bridge) séparant le village du lac d’Argent, construit en 1887.
En 1889, C.C. Eldrige quitta pour Vancouver. Avec de nouveaux actionnaires, la compagnie devint la Eastman Lumber Co. et connut une expansion sans précédent. A son apogée, elle employait plus d’une soixantaine de travailleurs à sa scierie, et de nombreux autres dans ses terres à bois et au flottage. Une autre scierie fonctionnait sur le ruisseau Amber, près de la décharge du lac Orford à Bolton Forest; dans le même secteur se trouvaient une beurrerie, une fromagerie, une fabrique de « tinettes » à beurre, ainsi qu’une forge. Vers 1909, la Eastman Lumber fut achetée par la Standard Chemical Co Ltd, spécialisée dans la distillation du bois, et continua ses activités jusqu’à sa fermeture en 1918.
Un lieu de villégiature et de tourisme
Le tout premier lieu de villégiature vit le jour en 1904 au lac Stukely (alors connu comme lac Bonnallie), quand un chalet y fut construit par le juge Samuel Willard Foster, lequel avait été impliqué dans l’octroi de terrains par le gouvernement fédéral au profit notamment de l’Orford Mountain Railway (OMR). Son chalet était justement sis au bout d’une voie ferrée secondaire de l’OMR servant à acheminer le bois de coupe de ce secteur vers les scieries d’Eastman (ce tronçon fut actif jusqu’en 1914). Bien que modeste, ce chalet fut néanmoins nommé « château de Foster » et le juge y organisa des réceptions mondaines.
Nos premiers véritables villégiateurs furent en fait des familles anglophones provenant surtout de l’ïle de Montréal mais aussi d’ailleurs dans les Cantons de l’Est. Sous l’impulsion de deux habitants du village, Calvin Dingman (petit-fils du premier Dingman, Darius) et de Charles Hawley (le gérant de banque), plusieurs chalets furent construits au début du siècle dernier au lac Orford, à un endroit nommé plus tard Pointe-aux-Anglais par les locaux. On y accédait par le chemin de fer et le CPR y avait aménagé une petite gare (Orford Lake Station) dès 1911, laquelle demeura en service jusque dans les années 1960. Orford Lake avait même son propre bureau de poste entre 1918 et 1969.
La construction de chalets de villégiature connut toutefois son essor entre la fin des années 1950 et le début des années 1980, principalement autour des lacs d’Argent, Orford, et Stukely. Plusieurs facteurs convergent alors pour faire d’Eastman une destination touristique convoitée: le développement de la station de ski au parc provincial du Mont-Orford au début des années 1960; l’ouverture du premier théâtre d’été francophone en 1960, le célèbre Théâtre de Marjolaine; et l’arrivée de l’autoroute 10 en 1964. La construction immobilière et le tourisme sont depuis lors des moteurs économiques du village et de sa croissance démographique, laquelle a été particulièrement marquée ces derniers dix ans.